Anglo-Iranien, Rafi Pitts a grandi à Téhéran, puis à Londres et à Paris. Il a travaillé avec Kiarostami, Godard, Doillon, Carax, Ferrara. Ses films ont concouru à Berlin, à Locarno. Son nouveau long métrage éparpille sur une planète tourmentée la vie d’un très jeune clandestin mexicain. Comme pour répondre aux délires trumpiens, le récit commence par le difficile passage des barrières californiennes. Nero a 19 ans et veut revenir à Los Angeles, où il a vécu enfant. Il y retrouve son frère, rencontre faite de malentendus, de manipulations, de tristes mensonges. Puis il découvre qu’il obtiendra sa Carte verte en s’enrôlant dans l’armée américaine. Dans le désert irakien ou afghan, réplique du no man’s land déjà traversé par lui, il réalise que la répétition et l’absurdité dévorent le présent par tous les bouts. Scénario audacieux, récit en boucle : Soy Nero est un film troublant. Le combat individuel devient celui du moucheron pris dans une toile d’araignée planétaire. À la lutte localisée, celle par exemple du héros de Voleur de bicyclette, répond aujourd’hui un parcours immense mais pas moins cruel. Et à force d’être absurde, le destin de Nero paraît presque invraisemblable. C’est pourtant de faits réels que s’inspire le cinéaste : il y a eu au Moyen-Orient des milliers de soldats portant l’uniforme des États-Unis sans en détenir la citoyenneté. Nous habitons un monde où la vraisemblance s’est perdue.
René MARX
Film franco-germano-mexicain de Rafi PITTS (2015), avec Johnny ORTIZ, Michael HARNEY, Ian CASSELBERRY, Rosa Isela FRAUSTO. 1h 58.