Peu d’écrivains ont suscité autant de passions et de controverses que Louis-Ferdinand Céline, qui reste à la fois l’un des géants de la littérature moderne, novateur incontournable du roman du XXè siècle et le plus effroyable des antisémites. Emmanuel BOURDIEU n’a pas cherché à faire un biopic retraçant les riches heures d’un parcours hors du commun, il n’en avait sans doute pas les moyens financiers. Il a circonscrit son propos sur quelques mois de 1948, alors que notre homme est en exil au Danemark et qu’un admirateur, jeune universitaire américain vient lui rendre visite. CÉLINE pense que de cette rencontre peut venir la réhabilitation. Mais les vieux démons reviennent d’autant plus facilement au galop que le visiteur est juif… Le film n’a pas besoin d’insister pour que nous mesurions l’ignominie du romancier. Mais il vaut d’abord pour le jeu de ses acteurs. Denis LAVANT, dans le rôle-titre frôle en permanence l’outrance, mais le danger du dépassement s’intègre parfaitement à la fragilité du film, en perpétuel (et volontaire) déséquilibre. Mais au-delà de son message premier, aveuglant, ce Louis-Ferdinand Céline nous frappe par la force de ses non-dits. Quelle pulsion suicidaire conduit notre homme à se rendre odieux alors qu’il attend de son visiteur le salut ? Quelle est la marge de compromis que ce dernier est prêt à accepter dans la fréquentation du diable ? Et surtout quels arrangements avec elle-même la femme de CÉLINE (admirable Géraldine PAILHAS) a-t-elle faits pour rester envers et contre tout le dernier rempart de la folie de son mari ? Dans le croisement des arrière-pensées et des pulsions contraires des trois personnages se situe toute la douleur du monde…
Yves ALION
Film franco-belge d’Emmanuel BOURDIEU (2015), avec Denis LAVANT, Géraldine PAILHAS, Philip DESMEULES. 1h 37.
https://www.youtube.com/watch?v=TBRd-tM6QVI