Le Caire, 2013. Au lendemain de la destitution du président islamiste Morsi, un jour de violentes émeutes, des dizaines de manifestants aux convictions politiques et religieuses divergentes sont embarqués dans un fourgon de police… dont la caméra ne sortira pas un seul instant. Il est toujours risqué de baser tout un film sur un dispositif unique. Mohamed Diap parvient à tenir du début à la fin son pari de mise en scène. Il joue en fait non pas sur un, mais sur deux espaces. D’une part l’intérieur du fourgon proprement dit, dans lequel il explore toutes les possibilités de cadres, et des déplacements des personnages obligés de cohabiter tout en s’affrontant. De l’autre, en jouant sur un « extérieur » mouvant, puisque le fourgon se déplace. Cet extérieur n’est vu que de manière fragmentaire, du point de vue des occupants du fourgon, ce qui offre la possibilité de travailler sur un hors champ indistinct. Diap refuse également la caricature et le schématisme des personnages, d’où un intense effet de réel. Si à l’évidence les sympathies du cinéaste ne vont pas vers les islamistes, il a le respect et l’intelligence de ne pas sombrer dans un manichéisme facile et s’attache plutôt à décrire sans concession l’extrême violence partagée par tous les camps. La séquence finale, la seule qui soit vraiment « symbolique », relève au choix d’un pessimisme total ou d’une lucidité acérée.
Laurent AKNIN
Eshtebak. Film égyptien de Mohamed DIAP (2016) avec Nelly KARIM, Hany ADEL, Ahmed MALEK. 1h 37