Couronné par un Ours d’or au dernier festival de Berlin, Synonymes, troisième long métrage du réalisateur israélien Nadav LAPID, est une œuvre déroutante, elliptique, cruelle et foutraque, qui risque de laisser une partie des spectateurs sur le carreau, choquant et ravissant tour à tour les autres. Dans une succession de situations et de scènes courtes un peu éparses, on suit Yoav, un jeune Israélien qui débarque à Paris avec la ferme intention de s’y dépouiller de tout ce qui le rattache à son pays natal. C’est donc tel un nouveau-né, nu, seul et vulnérable, qu’il commence sa nouvelle vie, vite « sauvé » et pris en charge par un jeune couple aisé du quartier de Solférino.
Avec son refus de parler hébreu et ses diatribes violentes contre sa patrie, le jeune homme se fait l’instrument d’une charge virulente contre l’état d’Israël, auquel il appose quantité d’adjectifs allant de « méchant » et « obscène » à « ignorant» et « fétide ». En revanche, c’est avec les yeux de l’amour qu’il observe la France, pays qui l’enchante et dont il souhaite tout embrasser. Son parcours, bien sûr, viendra apporter un contrepoint ironique et parfois cruel à ces illusions, notamment dans quelques scènes bien senties sur l’enseignement républicain infantilisant imposé à ceux qui deviennent français.
S’inspirant d’expériences personnelles, et de son cheminement d’Israélien installé en France, Nadav LAPID réunit ainsi les deux pays dans une réflexion malicieuse, quand elle n’est pas provocatrice, sur la question de l’identité. On pourra reprocher à Synonymes ses outrances et ses allures de chien fou qui ne cesse de bondir sans raison apparente d’un lieu ou d’un sujet à un autre, il n’en demeure pas moins que le réalisateur réussit son pari : aller au fond des choses, et proposer un film singulier, audacieux, cultivé, métaphorique, en un mot tourbillonnant, qui comme ses personnages, ne cesse de flirter avec ses propres limites.
Critique de Marie-Pauline MOLLARET
Film franco-israélien de Nadav LAPID (2019). Avec Tom MERCIER, Quentin DOLMAIRE, Louise CHEVILLOTTE, Christophe PAOU. 2h03