Deux handicapés moteurs se font engager comme hommes de main par un mafieux. Étonnant point de départ pour un polar résolument atypique qui assume son excentricité et joue avec les codes de la bande dessinée dont l’un des personnages est particulièrement imprégné. Quadruplement primé au dernier festival d’Arras, Roues libres est un deuxième film jubilatoire dont le titre français reflète assez justement l’esprit de dérision. Sous couvert de trousser une comédie policière sous l’influence narquoise de Quentin Tarantino, Atilla Till pratique en virtuose la confusion des genres et aborde le thème délicat du handicap sans tabou. Mieux, ses “bras cassés” ne le sont ni au propre (c’est des jambes qu’ils sont atteints) ni au figuré (ils ont appris à compenser leur handicap) et nous entraînent dans un monde fou, fou, fou où tout semble possible. On est loin des deux écoles principales du cinéma hongrois : la chronique naturaliste chère à Márta Mészáros et la tradition visionnaire qui va de Miklós Jancsó à Béla Tarr. Roues libres s’inscrit dans la lignée du film belge Hasta la vista, sans jamais s’apitoyer sur ses protagonistes, ce qui n’empêche pas le film d’investir le registre de l’émotion pour évoquer l’absence de père qui taraude l’un d’eux. En brouillant continuellement les cartes, Attila Till réussit un opus anticonformiste où tout semble possible et où l’on finit par s’habituer à ne plus s’étonner de rien. Une vertu suffisamment rare pour mériter d’être célébrée à sa démesure.
Critique de Jean-Philippe GUERAND
Tiszta Szivve. Film hongrois d’Attila TILL (2016), avec Szabolcs THUROCZY, Zoltán FENYVESI, Ádám FEKETE. 1h 42.
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