Ce n’est pas une mais quatre comédiennes qu’a conviées le réalisateur de Michael Kohlhaas pour camper L’Orpheline dont il évoque la destinée sur trois décennies, mais à rebours. Une bourgeoise rattrapée par son passé erratique de provinciale montée à Paris et d’adolescente délurée et privée de son innocence de petite campagnarde. Un tour de force fondé pour une bonne part sur la qualité de ses interprètes et la capacité du spectateur à relier naturellement l’une à l’autre, par ordre d’entrée en scène anti-chronologique, les deux Adèle, Haenel et Exarchopoulos, Solène Rigot (remarquée récemment dans La Confession de Nicolas Boukhrief) et Vega Cuzytek. En déconstruisant ainsi son récit, Arnaud des Pallières souligne les contradictions d’un personnage à facettes en effaçant ses tentatives de se faire passer pour une autre, déclinant là sous une forme plurielle un artifice esquissé il y a quarante ans par Luis Buñuel dans Cet obscur objet du désir où Carole Bouquet et Angela Molina se partageaient un rôle destiné à l’origine à la seule Isabelle Adjani. Ce n’est pas la ressemblance physique entre ses quatre actrices qui importe à Des Pallières à travers cette multiplicité réfléchie, mais plutôt les mutations séparant l’enfance de l’adolescence, puis de deux stades de l’âge adulte, qu’il entend mettre en évidence. Film à tiroirs, Orpheline s’impose comme une mise en abyme foisonnante dont l’intrigue proprement dite n’apparaît cependant que comme prétexte romanesque à un portrait fascinant.
Critique de Jean-Philippe GUERAND
Film français d’Arnaud DES PALLIERES (2016), avec Adèle HAENEL, Adèle EXARCHOPOULOS, Solène RIGOT. 1h 51.