Une mère et ses deux enfants se réfugient sur une île amazonienne après avoir fui le conflit agitant la Colombie dans lequel a disparu le chef de famille. Jusqu’au moment où l’absent donne de ses nouvelles… Inspiré par la vague d’immigration bien réelle qu’a facilité l’ex-président brésilien Lula, Los Silencios n’est pas sans évoquer l’atmosphère des Autres (2001), ce beau film d’Alejandro AMENABAR lui-même imprégné du climat délétère de certaines nouvelles d’Henry JAMES. La cinéaste brésilienne Beatriz SEIGNER excelle dans l’art de la suggestion et procède par touches délicates. Son deuxième film (après Bollywood Dream, en 2010) fonctionne comme une invitation au rêve dans la tradition d’un autre géant de la culture sud-américaine, l’écrivain argentin Jorge Luis BORGES. La lisière entre réalité et fantasme y est extrêmement ténue. La mise en scène mise pour cela sur la direction d’acteurs et convie le spectateur à remplir lui-même les pointillés que comporte la narration. La réalisatrice témoigne à ce titre d’une maîtrise esthétique qui doit sans doute beaucoup à la durée atypique de la gestation de ce projet qu’elle a mis une dizaine d’années à faire aboutir. De ce facteur temps, elle a fait un atout, en laissant dériver son sujet, au départ solidement ancré autour d’un phénomène sociologique bien réel. Ce film parfois visionnaire qui associe l’eau et les rêves, comme pour illustrer Gaston BACHELARD, y a trouvé un rythme atypique sans céder à une contemplation complaisante.
Critique de Jean-Philippe GUERAND
Film brasilo-franco-colombien de Beatriz SEIGNER (2018), avec Marleyda SOTO, Enrique DIAZ, Maria Paula TABARES PEÑA. 1h28.