Rares sont les derniers films qui revêtent une véritable valeur testamentaire/testimoniale. À l’image de Gens de Dublin (1987) de John Huston ou d’Eyes Wide Shut (1999) de Stanley Kubrick, mais sur une tonalité nettement moins solennelle, Les Fleurs bleues apparaît comme une œuvre majeure d’Andrzej Wajda, décédé en octobre dernier. Le réalisateur polonais y évoque le peintre Władysław Strzemiński, personnage fantasque devenu l’un des maîtres du constructivisme, mais accusé de déroger aux règles du réalisme-socialiste. Comme dans bon nombre de ses films, le réalisateur de L’Homme de marbre (1977) s’y attaque à un homme en lutte contre le pouvoir, qui plus est amputé d’un bras et d’une jambe après avoir été grièvement blessé pendant la Première Guerre mondiale. Mais derrière cet artiste en rébellion, l’époque qu’il évoque coïncide aussi avec la fin du stalinisme et le début de sa propre carrière de cinéaste dans cette même ville de Lodz à laquelle était si attaché Strzemiński. Comme si, à 90 ans, Wajda avait souhaité nous envoyer un ultime message sur le rôle assigné aux créateurs dans une société et plus encore dans un monde soumis à l’oppression. Il trouve un interprète génial en la personne de Boguslaw Linda dont le charisme s’exprime par le franc-parler, l’amour de l’art et quelques excentricités. À l’instar de sa façon toute personnelle de compenser son absence de prothèses en dévalant une colline sur lui-même. Rarement un cinéaste a clos son œuvre de si magistrale façon.
Critique de Jean-Philippe GUERAND
Powidoki. Film polonais d’Andrzej WAJDA (2016), avec Boguslaw LINDA, Aleksandra JUSTA, BRONISLAWA ZAMACHOWSKA. 1h 38.