Ceux qui ont apprécié le travail souvent rugueux et toujours plus près de l’os de Stéphane Brizé dans ses derniers films, et plus particulièrement La Loi du marché auront sans doute été dans un premier temps surpris de le voir adapter un classique de la littérature. En l’occurrence Une vie, de Guy de Maupassant. Un roman qu’Alexandre Astruc avait une première fois porté à l’écran en 1957. Le film de Brizé est un bijou, qui parvient à épouser la mélancolie parfois brutale du livre sans jamais trahir la volonté maintenant ancrée du cinéaste d’explorer des chemins naturalistes qui parfois nous choquent tant ils sont à l’écart de ce cinéma dominant qui caresse le spectateur dans le sens du poil et ajoute quelques cuillères de miel aux scènes les plus malaimables. Une vie retrace comme son titre l’indique toute une vie, celle d’une jeune provinciale mal mariée, trahie par sa meilleure amie et ruinée par un fils qui n’a aucune attention pour elle. Nous pourrions sans effort nous vautrer dans le mélo, mais Stéphane Brizé se veut davantage entomologiste d’un monde loin et proche à la fois. L’apparente neutralité de son regard rend in fine les personnages encore plus vulnérables et l’émotion plus belle. Tout dans ce film est retenue. La trame parfois nous surprend, qui privilégie les déliés au détriment des pleins. La mort de la mère aurait pu par exemple donner lieu à l’exposition d’une douleur. On ne s’aperçoit en fait de sa disparition que parce qu’elle n’apparaît plus à l’écran… Le cinéaste a en outre choisi un format à l’ancienne, presque carré, qui nous change du tout venant, désormais en format large. Comme s’il avait voulu confiner notre regard comme il avait enfermé les personnages afin de mieux signifier leur manque de perspective. Du grand art.
Yves ALION
Film français de Stéphane BRIZE (2015), avec Judith CHEMLA, Jean-Pierre DARROUSSIN, Yolande MOREAU. 1h 59.