Kiyoshi KUROSAWA est toujours préoccupé par les fantômes, par leur présence presque naturelle parmi les vivants. Une thématique ancienne du cinéma japonais en particulier et du cinéma tout court, depuis les premiers temps. Ici, les fantômes ne sont pas les ombres des morts mais des extra-terrestres ayant pris l’apparence des humains, comme dans le précédent film de KUROSAWA, Avant que nous disparaissions. La gêne provoquée par ces non-humains, passant presque inaperçus, se transforme progressivement en terreur. Ils détruiront le monde après nous avoir sucé le sang et le cerveau, en confisquant nos concepts, amour, famille, bienveillance, liberté. Une jeune femme incarne notre anxiété : qu’arrive-t-il à sa collègue, à son mari ? Les menaces planétaires sont ramenées au cadre domestique, professionnel, à l’intimité de la jeune femme, à ses sentiments. Invasion est en fait le remontage d’une série télévision, mais le spectateur de cinéma ne s’en apercevra pas, sauf à remarquer quelques langueurs de rythme. Cette dilatation temporelle ne nuit pas, au contraire, à l’étrangeté hallucinatoire du film. Plus dynamique qu’Avant que nous disparaissions, moins émouvant que Vers l’autre rive ou Le Secret de la chambre noire, ce nouveau KUROSAWA est l’approfondissement de ses questions sur le cinéma, l’intimité et le nouveau siècle. L’inquiétude, l’angoisse, puis la détresse de l’héroïne rappellent les menaces réelles, qui pèsent sur nous. Les extraterrestres, nous le savons, n’ont rien à voir là-dedans.
Critique de René Marx
Yochô: Sanpo Suru Shinryakusha. Film japonais de Kiyoshi KUROSAWA (2017), avec Kaho, Shôta SOMETANI, Masahiro HIGASHIDE. 2h20