Dans l’œuvre étoffée de Benoît JACQUOT, les films historiques sont assez systématiquement gage de qualité. Dernier amour partage ainsi avec Les Adieux à la reine ne nous faire visiter l’Histoire sans que jamais nous n’ayons le sentiment d’être à l’école, nous permettant en revanche de mesurer ce qui nous différencie ou nous rapproche de nos aînés.
Les arabesques que décrivent les relations amoureuses ne souffrent pas à cet égard des morsures du temps. Même si le personnage principal de ce Dernier amour est CASANOVA, dont le nom est synonyme de séduction. Mais JACQUOT a pris un malin plaisir à nous présenter cet homme à femmes à l’envers de son mythe, au moment où il essuie un échec cuisant auprès d’une gourgandine qui n’a pas même la pudeur d’être farouche avec ses autres prétendants. Mais c’est justement là que se situe toute la finesse du propos, CASANOVA découvrant visiblement sur le tard les tourments du désir contrarié, les subtilités du sentiment amoureux au-delà du plaisir physique, les délices d’une promesse, même quand elle ne débouche sur rien.
Faut-il préciser que le CASANOVA de JACQUOT bénéficie de l’empathie de son créateur (comme c’était déjà le cas de SADE dans le film éponyme avec Daniel AUTEUIL), qu’il se situe aux antipodes de celui de FELLINI, que le signataire de La Dolce Vita n’aimait pas et qu’il voyait de toute évidence comme un monstre de foire, une machine à coïtus non interruptus. C’est Vincent LINDON qui prête ses traits au personnage, lui apportant dans ses moments bougons comme dans ceux plus fébriles une humanité palpable, notamment dans ses moments de doute, voire de désespoir.
Dernier amour, comme son titre l’indique, est un film crépusculaire. Crépuscule d’une vie qui s’achève et conserve le goût rance de cet échec amoureux qui ne sera jamais compensé par tant de conquêtes trop faciles. Crépuscule d’un monde qui tourne à vide. La description des mondanités de ce siècle qui en France verra fleurir la Révolution est à cet égard remarquable. JACQUOT ne cherche pas à mettre en valeur ses décors, il veille au contraire à leur redonner les couleurs d’un usage quotidien auxquelles on ne doit pas plus prêter attention que ne le faisaient ceux qui s’y mouvaient. Crépuscule servi par l’image que nous livre Christophe BEAUCARNE. En ce temps-là, la lumière était chiche et les fêtes de nos ainés ne brillaient pas toujours de mille feux. Mais Benoît JACQUOT n’a pas voulu que son film ressemble à un tableau de Georges de La Tour ou que l’on disserte pendant des lustres sur les bougies du film, comme cela a été le cas jadis pour Barry Lyndon… Cela aurait été au détriment de notre capacité d’identification. Car pour JACQUOT, nous sommes tous des CASANOVA, et quelle que soit la façon dont on s’y prend, notre existence ne suffit pas à percer le mystère insondable du désir et des sentiments qui s’y attachent.
Le réalisateur sait de quoi il parle, au fond ses films n’ont jamais exprimé autre chose. Avec plus ou moins de réussite, sans doute, mais avec une constance qui laisse songeur. Cet épisode véridique de la vie de CASANOVA a dit-on inspiré Pierre LOUYS pour écrire La Femme et le Pantin (porté plusieurs fois à l’écran, notamment par VON STERNBERG et DUVIVIER). L’occasion de montrer la duplicité de la gent féminine, sa propension à la manipulation (LACLOS n’est évidemment pas plus tendre quand il dessine le portrait de Madame de Merteuil dans Les Liaisons dangereuses). Comparé à ces œuvres somptueuses et empoisonnées, Dernier amour est presque comme un souffle d’air frais, qui passe et que l’on ne rattrape pas. Comme la vie.
Critique de Yves ALION
Film français de Benoît JACQUOT (2019), avec Vincent LINDON, Stacey MARTIN, Valeria GOLINO. 1h38.