« Je revendique de ne faire ni du documentaire, ni de la fiction politico-sociale. Je travaille l’écriture cinématographique et la dramaturgie pour produire de l’émotion. » La comédienne Rachida Brakni annonce la couleur et remplit son contrat pour son premier long métrage en tant que réalisatrice. L’attente de femmes venues pour un parloir dans une maison d’arrêt est filmée en scope, « de sas en sas ». La canicule extérieure rend l’écoulement du temps insupportable. Le huis-clos exacerbe les tensions des visiteuses entre elles et vis-à-vis des gardiens, parfois aussi les solidarités. Aucun portrait à charge, chacun, humain trop humain, fait comme il peut pour supporter ces heures-là. Les classes sociales sont mélangées, même si les pauvres issus de l’immigration sont surreprésentés. C’est bien l’écriture de Rachida Brakni qui emporte le spectateur, dans ce chemin toujours plus étroit de la porte de la maison d’arrêt jusqu’au seuil de la salle du parloir. Le franchira-t-on, ce dernier seuil ? Son expérience au théâtre a sans doute permis à la cinéaste cet équilibre parfait entre les composantes de ce chœur essentiellement féminin. La violence du cadre, de l’architecture elle-même s’exerce sur les visiteuses comme sur les gardiens. Le tournage, faute d’autorisation en prison, s’est déroulé dans un hôpital psychiatrique désaffecté. On sait depuis Foucault combien les écoles, les prisons et les asiles portent dans leur forme même leur pouvoir d’oppression. Il s’agit bien d’une fiction, avec des personnages écrits, des dialogues qui touchent au romanesque pour mieux parler d’un réel qui traverse notre société. On repense à Clash, le film récent de Mohamed Diab où le huis clos dramatisé fabriquait une pensée puissante sur notre monde commun.
Critique de René MARX
Film français de Rachida BRAKNI (2016), avec Zita HANROT, Meriem SERBAH, Fabienne BABE, Judith CAEN. 1h 22