Cinéaste depuis près de cinquante ans, photographe depuis plus longtemps encore, Depardon a toujours été un témoin. Il s’agit pour lui de regarder le réel en face, les humains un par un. La vérité survient en prime. Avec Les Habitants il invente la non-interview. Laissant face à face deux personnes rencontrées par hasard dans une rue de Sète, de Cherbourg ou de Villeneuve-Saint-Georges, il filme leur dialogue, de profil, sans intervenir, sans poser aucune question. Tournées en 35mm argentique, quatre-vingt-dix rencontres parmi lesquelles il a fait son choix bien sûr. Pas de cinéma sans montage… Un monde sans vrais bourgeois, sans Parisiens, un monde souvent prolétaire, de villes moyennes (sauf Nice) où les questions d’argent, de travail, de chômage prédominent. Où les mutations sociales sont subies avec douleur. Dans ces conversations entre amants, parents, voisins, copains le rapport de couple et les séparations difficiles reviennent sans cesse, dans la douleur aussi. Depardon, en n’intervenant pas avant le montage, montre une société malade, des univers sentimentaux souvent rugueux. Le fait que les dialogues soient filmés dans une caravane très années soixante accentue l’impression d’un pays en décalage avec son temps et qui en souffre. Le film est surtout triste, même si l’énergie de certains, leur chaleur humaine ou amoureuse rassure un peu. Passionnante aussi, la description d’une France où la langue parlée, les gestuelles, les regards même, changent avec la géographie, les strates sociales et les générations. Apprendre ce qu’est la France mais aussi la langue française d’aujourd’hui, les habitus de ce pays paradoxal sera sans doute plus facile en voyant Les Habitants.
René MARX
Film documentaire français de Raymond DEPARDON (2016). 1h 24