Tina est une femme étrange, au physique troublant et au visage presque simiesque, capable de sentir (olfactivement) les émotions de ceux qu’elle rencontre. Cela en fait une douanière exceptionnelle qui repère sans hésitation les voyageurs transportant des substances illicites à leur descente du ferry. Lorsqu’elle ne travaille pas, Tina vit en osmose avec la nature et subit sans broncher les manières indélicates de son colocataire. Lorsqu’elle rencontre Vore, dont l’apparence est semblable à la sienne, tous ses repères vacillent.
D’une étrangeté diffuse, mais mesurée, le film bascule alors dans une bizarrerie sans limite qui convoque une histoire d’amour hors normes, animale et violente, une investigation terrifiante contre le mal absolu et une quête douloureuse des origines. Le réalisateur n’épargne pas grand-chose au spectateur, multipliant les gros plans et les images choc, entre volonté de mettre mal à l’aise et provocation gratuite. Mais il est aussi capable de filmer la nature dans toute sa majesté ou de capter la douceur secrète de son personnage dans des plans d’une grande beauté. En entraînant son récit dans le domaine du fantastique assumé, il questionne finalement plus profondément les frontières qui marquent uniformément nos existences : entre le bien et le mal, entre l’humanité et l’animalité, entre ce que l’on ressent tout au fond de soi et ce que l’on sait moralement juste. Comme un conte de fées pour adultes, mais en version scandinave sans filtre, c’est-à-dire totalement glaçante.
Critique de Marie-Pauline MOLLARET
BORDER. Gräns, Film suédois d’Ali ABBASI (2018), avec Eva MELANDER, Eero MILONOFF, Jörgen THORSSON. 1h48.