Après le polar (Little Odessa, The Yards, La Nuit nous appartient), la romance (Two Lovers), le film d’époque (The Immigrant) et le film d’aventures (Lost City of Z), James GRAY s’essaie avec Ad Astra à la science-fiction. Et c’est une nouvelle réussite totale, à coup sûr l’un des plus beaux films de l’année. Une fois encore, le cinéaste fait preuve d’un talent inouï pour se lover dans les codes et les motifs d’un genre tout en y imprimant sa singularité.
Ad Astra s’inscrit dans la mode de la « science-fiction sérieuse post-2001 », réactivée par les succès de Gravity et d’Interstellar. Avec son habituel sens du récit, James GRAY raconte cette fois l’odyssée, captivante de bout en bout, d’un astronaute (Brad PITT) à travers le système solaire. Ce dernier est chargé d’une mission secrète : tenter de renouer contact avec son père (Tommy LEE JONES), lequel avait accepté une expédition périlleuse l’ayant fait échouer aux abords de Neptune, sans qu’il ne donne de nouvelles depuis seize années. Le film séduit d’emblée dans son refus de préciser à quelle date l’action se situe. Nous sommes projetés dans un futur crédible, extrapolant nos conflits politiques et enjeux civilisationnels. Par exemple, lorsque l’on arrive sur la Lune, on se rend compte qu’elle a été gangrenée par l’expansion capitaliste et la décadence environnementale. L’entrée dans la fiction est facilitée par cet ancrage dans des suppositions vraisemblables. La limpidité avec laquelle Gray écrit son histoire rend immédiate l’adhésion du spectateur ce qui, selon nous, n’était pas le cas dans Interstellar. Le film de Nolan typographiait son univers à travers le jargon amphigourique de ses dialogues, ce qui ne le rendait guère crédible – et donnait lieu à un pénible chantage à l’intelligence. Ad Astra est au contraire habité par une simplicité le rendant d’autant plus profond.
Le point de départ de l’intrigue dit l’ambition de James GRAY : nous ferons un voyage plein de péripéties à travers des lieux extraordinaires, mais cette traversée sera également une quête personnelle, inévitablement décevante. Le héros d’Ad Astra est comparable au Neil ARMSTRONG de First Man : un être solitaire, hanté par la mort supposée ou réelle d’un de leurs proches, et qui se confronte littéralement au vide. Roy McBRIDGE est dans la droite lignée des figures spectrales des autres films de Gray. Lorsqu’il se lance dans cette aventure, le personnage retourne à ses origines et se confronte à une figure paternelle ombrageuse. Tenter de remettre son père dans le droit chemin sera aussi l’occasion pour lui de s’en émanciper et de questionner son identité. C’est le même conflit œdipien de Bobby dans La nuit nous appartient et que Percy FAWCETT dans The Lost City of Z. James GRAY est entièrement là, fidèle à lui-même, aucunement écrasé par la pression économique et les moyens considérables mis à sa disposition. S’il assure parfaitement le spectacle (les scènes d’action du film n’ont rien à envier à celles de ses aînés), et se moule avec aisance dans une grande forme inhabituelle pour lui, il n’oublie pas pour autant la question existentielle qui traverse tous ses films : quand sommes-nous libres ? A qui appartenons-nous ? Ad Astra est une œuvre spectaculaire, certes, mais qui avance à un rythme lâche, « tel un grand corps endolori » pour reprendre la percutante expression de Jean-Philippe TESSE à propos de La nuit nous appartient. On y retrouve toute la solitude angoissée, ce même brouillard dans lequel avancent les êtres en perdition qui peuplent le cinéma intemporel de Gray. L’esthétique économe du metteur en scène est toujours aussi séduisante. Son scénario est épuré, son découpage est sobre, son montage est fluide, ses acteurs tout en rétention. Les espaces infinis sont régulièrement le lieu de multiples proliférations plastiques au cinéma. Rien de cela ici. James Gray est plus conceptuel et minimaliste. Il y a bien quelques contemplations de l’ampleur cosmique mais elles sont courtes. Point non plus d’attardement sur des décors luxuriants. Le tunnel lunaire, la salle d’enregistrement, les différents intérieurs de vaisseaux retrouvent la même âpreté mortuaire qui hante sa filmographie. Les scènes d’action sont relativement brèves et le réalisateur reste toujours attaché au héros, aux blessures et aux regrets que les heurts rouvrent en lui, comme c’était le cas dans La nuit nous appartient lorsqu’il mettait en scène une poursuite de voitures en restant à l’intérieur du véhicule de Bobby, rivé sur le drame qu’il traverse. James GRAY demeure un grand empathique, osant le drame et l’intimisme. Nous sommes preneurs. L’émotion qu’il nous transmet est toujours aussi vive et entre en écho sans résistance avec ses films passés. Ad Astra est donc une nouvelle pierre confortant une œuvre personnelle et cohérente, dont la profondeur d’affect et la mélancolie, nous en sommes sûrs, traverseront les époques et les modes.
Critique de Yves ALION
Film américain de James GRAY (2019), avec Brad PITT, Tommy LEE JONES, Ruth NEGGA, Liv TYLER, Donald SUTHERLAND. 2h02.