Sergueï DOVLATOV, futur grand écrivain russe de la fin du XXème siècle, est dans une impasse professionnelle. Aucun média officiel n’accepte en effet de publier ses textes, et il en est réduit à couvrir des événements patriotiques pour des journaux serviles obsédés par le fait d’être « positif » et donc conforme à la ligne du parti de l’époque. Alexey GERMAN JR. nous plonge dans la communauté artistique du Leningrad de la fin des années 70, bouillonnante d’une vitalité fougueuse et vibrante qui tranche avec l’immobilisme frileux dans lequel se trouve le pays. Le cinéaste filme brillamment les portraits de groupes, captant avec sa caméra aérienne la chorégraphie des corps et des esprits tandis que l’intelligence des personnages transparaît dans des dialogues percutants et enlevés qui dissimulent mal leur irrémédiable désespoir. Magnifiquement incarné par le comédien Milan MARIC, Dovlatov est un trublion cynique et désabusé qui refuse pourtant toute forme de compromission. Esprit brillant persécuté par les médiocres et les faibles, il est l’archétype de celui qui a raison contre tout le monde, et continue de croire en son destin coûte que coûte. On a beau être dans l’URSS de Brejnev, les thèmes abordés (droiture morale, nécessité de créer, impossibilité viscérale de renoncer à qui l’on est) trouvent facilement un écho dans la Russie de Vladimir POUTINE qui assigne à résidence ou emprisonne des réalisateurs comme Kirill SEREBRENNIKO et Oleg SENTSOV. Le nouveau film d’Alexey GERMAN JR., œuvre dense, atemporelle et universelle, rappelle ainsi avec force la nécessité de l’art comme arme ultime contre la bêtise, la tyrannie et l’horreur, quels que soient les époques et les régimes.
Critique de Marie-Pauline MOLLARET
Film russe d’Alexey GERMAN JR. (2018), avec Artur BESCHASTNY, Milan MARIC, Danila KOZLOVSKY. 2h06