On était en droit d’attendre beaucoup de la rencontre de l’auteur de Barbara avec le roman d’Anna SEGHERS qui se situe pendant l’Exode de 1940 à Marseille. Christian PETZOLD a pris par ailleurs l’initiative judicieuse d’en transposer l’intrigue à une époque indéterminée (de nos jours ?) dans une ville portuaire où viennent échouer tous les damnés de la terre. Un procédé efficace qui accentue l’universalité de cette chronique tragique. Le réalisateur fait en outre une infidélité à l’actrice fétiche de cinq de ses films, Nina HOSS, remplacée ici par Paula BEER, la révélation de Frantz de François OZON. Il est vrai qu’une fois n’est pas coutume, le rôle principal est cette fois interprété par un homme, en l’occurrence l’étonnant Franz ROGOWSKI vu dans Happy End de Michael HANEKE et bientôt à l’affiche de Radegund de Terrence MALICK. C’est lui à qui revient la charge écrasante d’incarner ce fuyard en possession des papiers d’identité d’un écrivain mort qui tombe sur sa veuve et se trouve confronté à un dilemme identitaire insoluble qui s’apparente au jeu de la vérité. Petzold réussit à instaurer une tension permanente en utilisant les moindres ressources cinématographiques de son sujet et en s’appuyant sur deux paramètres essentiels : le temps et l’espace. Il filme Marseille avec une réelle inventivité et rend parfaitement plausible le climat insurrectionnel qui règne dans ce port de l’angoisse devenu la dernière escale de tous les réfugiés en partance vers la liberté… ou la mort.
Critique de Jean-Philippe GUERAND
Film germano-français de Christian PETZOLD (2017), avec Franz ROGOWSKI, Paula BEER, Godehard GIESE. 1h41.