Il y a déjà quelques années que les studios DISNEY ont entrepris de décliner leurs fleurons de l’animation en films en prises de vues réelles. Depuis Les 101 Dalmatiens (1996), la major a investi dans ce domaine des moyens considérables et fait appel à des réalisateurs aussi talentueux que Kenneth BRANAGH (Cendrillon, 2015), Jon FAVREAU (Le Livre de la jungle, 2016) ou Bill CONDON (La Belle et la Bête, 2017).
En 2019, pas moins de trois classiques vont subir ce traitement de choc dont Aladdin (le 22 mai) et Le Roi lion (le 17 juillet). Le premier à sortir est Dumbo. Ce petit éléphant né avec des oreilles trop grandes pour lui a été confié à un expert en matière de contes : Tim BURTON, lequel s’est déjà colleté à des mythes tels que Charlie et la Chocolaterie (2005) et Alice au pays des merveilles (2010), tout en imposant son propre bestiaire, de Beetlejuice (1988) à Frankenweenie (2012).
Le dessin animé originel durant à peine plus d’une heure, la première difficulté consistait à renforcer l’intrigue très mince imaginée par Helen ABERSON et illustrée par Harold PEARL. Ehren KRUGER s’en est brillamment tiré. Restait pour BURTON à donner chair à cette histoire d’éléphant volant. Il déploie pour cela un luxe artistique qui évoque le Hollywood d’antan, celui capable d’associer des histoires universelles à une virtuosité technologique qui semble désormais illimitée.
Comme dans la plupart des classiques que s’est appropriés Walt DISNEY, il y a dans Dumbo un enfant en quête d’un de ses parents, en l’occurrence Madame Jumbo que le propriétaire du cirque se voit contraint de vendre pour échapper à la ruine après l’incendie qui a réduit en cendres son chapiteau. Il y a aussi un hymne à la différence en la personne de cet éléphanteau doté d’oreilles disproportionnées et de la transformation de ce handicap qui lui vaut de devenir l’objet de la risée générale avant d’en tirer un pouvoir extraordinaire : celui de voler. Tim BURTON met à profit une intrigue intelligemment étoffée, comme en écho au rêve que Walt DISNEY lui-même a naguère réalisé en créant de légendaires parcs d’attraction qui lui ont survécu. Le cinéaste associe à nouveau à cette occasion Michael KEATON et Danny DE VITO qui furent naguère son Batman et son Pingouin dans Batman, le défi (1992). Il fait en outre passer Eva GREEN de l’ombre à la lumière en acrobate française à l’accent délicieusement prononcé, dans un contre-emploi radical par rapport au rôle-titre qu’elle tenait dans son opus précédent, Miss Peregrine et les Enfants particuliers (2016). Avec, en prime, Colin FARRELL et deux enfants époustouflants qu’incarnent Nico PARKER (la digne fille de Thandie NEWTON, l’intervieweuse de Ma vie avec John F. Donovan) et Finley HOBBINS.
Grâce au talent visionnaire de Tim BURTON qui ne laisse aucun détail au hasard, Dumbo est un régal pour les yeux, mis en musique par le plus fidèle complice du cinéaste : Danny ELFMAN. De la photo de Ben DAVIS aux décors de Rick HEINRICHS et aux costumes de Colleen ATWOOD, la beauté est au rendez-vous de cette somptueuse reconstitution de l’âge d’or du cirque auquel a mis un terme l’avènement des fêtes foraines dont celle de Coney Island à New York, lorsque certaines troupes itinérantes ont entrepris de se sédentariser. Le réalisateur adresse pour cela de discrets clins d’œil aux rares fleurons du genre que constituent Sous le plus grand chapiteau du monde (1952) de Cecil B. DEMILLE, pour sa ménagerie, mais aussi Freaks (1932) de Tod BROWNING pour ses spécimens humains. Mais cet univers rejoint aussi le sien, notamment à travers son penchant pour les proscrits. Comme Edward aux mains d’argent auquel son handicap conférait un véritable talent artistique, Dumbo tire parti de son hypertrophie auriculaire pour réaliser le rêve d’Icare. Il conserve toutefois une innocence qui le pousse à croire que c’est le fait d’ingérer une plume d’oiseau qui lui donne ce pouvoir magique. Jusqu’au moment où il comprendra que sa capacité de voler ne dépend que de lui.
Dans une jungle hollywoodienne où les effets spéciaux et les ressources du numérique servent trop souvent à colmater les brèches scénaristiques voire à compenser un cruel manque d’inspiration, Dumbo met toutes ces ressources à la disposition d’une authentique invitation au rêve, sans sacrifier pour autant la substantifique moelle du cinéma : l’émotion. Cet éléphanteau à la recherche de sa maman a un pouvoir d’empathie peu commune. Sans doute parce qu’il manifeste les sentiments les plus fondamentaux. Par ailleurs, et c’est tout sauf un détail dans le monde de DISNEY qui a souvent élevé l’anthropomorphisme au rang des beaux-arts, Dumbo ne parle pas. Il s’exprime essentiellement par le regard. Parce que c’est un animal, mais surtout parce que c’est un bébé qui n’a pas encore accès au langage. L’occasion de saluer le travail accompli par les apprentis-sorciers qui sont parvenus à donner vie à ce personnage avec un réalisme impressionnant et surtout une expressivité hors du commun. Nul besoin de mots pour compatir à ses états d’âme. Les enfants qui le protègent deviennent ainsi naturellement ses porte-parole. Dumbo est magique.
Critique de Jean-Philippe GUERAND
Film américain de Tim BURTON (2019), avec Colin FARRELL, Danny DE VITO, Michael KEATON, Eva GREEN, Alan ARKIN, Nico PARKER, Finley HOBBINS. 1h52.