Une femme aux abois accouche d’un bébé dont elle doit impérativement se débarrasser, tant sa propre vie ne tient déjà qu’à un fil. De ce point de départ, le réalisateur kazakh de Tulpan tire un film choc tourné caméra à l’épaule qui repose sur son tempo infernal et interdit au spectateur de reprendre son souffle pendant une centaine de minutes d’une intensité exceptionnelle. Ayka n’est pas sans évoquer Rosetta par sa façon de rester collé en permanence aux basques de son interprète principale, Samal YESLYAMOVA, justement primée à Cannes du trophée de la meilleure interprétation féminine pour ce film dont elle constitue le centre de gravité, comme avant elle Émilie DEQUENNE était celui du film des DARDENNE. À travers cette femme qui court pour survivre dans un pays où elle se trouve en situation illégale, Sergey DVORTSEVOY dénonce une Russie à deux vitesses qui maltraite ses minorités. Il souligne cette détresse en prêtant à Ayka l’un des sentiments les plus révoltants qui soient : l’abandon de son enfant par une mère prête à tout pour sauver sa peau dans une société inhumaine où certaines bourgeoises moscovites accordent davantage de valeur à la vie de leurs animaux de compagnie. Ce film s’avère glaçant au propre (il se déroule dans des conditions climatiques extrêmes) comme au figuré (aucun sentiment positif n’émerge au fil de cette descente aux enfers). Il laisse pourtant une impression durable de détresse. Comme un mal nécessaire qui témoigne toutefois d’une maîtrise incontestable.
Critique de Jean-Philippe GUERAND
Film russo-germano-polono-kazakho-chinois de Sergey DVORTSEVOY (2018), avec Samal YESLYAMOVA, Aleksandr ZLATOPOLSKIY, Zhipargul ABDILAEVA. 1h40.