Chela et Chiquita ont mené la grande vie pendant trente ans dans leur bel appartement d’Asuncion au Paraguay. Mais les deux femmes se retrouvent au bord de la faillite, contraintes de vendre leurs biens, et Chiquita est accusée de fraude, puis envoyée en prison. D’abord totalement désemparée, Chela reprend peu à peu sa vie en mains, et se met à faire le chauffeur pour de vieilles femmes riches. Filmé presque uniquement en intérieur, dans des décors qui semblent enfermer les personnages (appartement, prison, voiture), Les Héritières est ainsi l’histoire d’une femme qui s’aperçoit brutalement qu’elle est confinée dans une cage dorée, et apprend à s’en émanciper. Avec justesse et subtilité, Marcelo MARTINESSI brosse le portrait d’une bourgeoisie paraguayenne qui a vécu coupée du monde réel pendant des décennies, complice plus ou moins consciente de la dictature et de ses successeurs. Une bourgeoisie accrochée à ses privilèges, aussi dérisoires soient-ils, et qui refuse de voir son monde changer. La trajectoire du personnage principal, qui passe d’une peur panique face au simple fait de vivre à une écoute active de ses propres désirs, devient ainsi la métaphore d’un pays qui doit lui-aussi trouver son propre chemin pour redonner du sens à son existence. Malgré le classicisme apparent de la mise en scène comme du scénario, extrêmement ténu, le film surprend par son pari (réussi) d’évoquer en filigrane du destin individuel de ses personnages l’histoire complexe et l’avenir incertain de son pays. Il doit également beaucoup à la formidable comédienne Ana BRUN, saluée par un prix d’interprétation à Berlin où le film a également séduit le jury de la critique internationale.
Critique de Marie-Pauline MOLLARET
Las Herederas. Film paraguayen de Marcelo MARTINESSI (2017) avec Ana BRUN, Margarita IRUN, Ana IVANOVA. 1h38.
https://www.youtube.com/watch?v=ZHtcWLwyllA